Du contrat social : ce " petit livre " est un grand livre, devenu canonique dans l'histoire des idées politiques. Comme tous les grands livres, il est difficile à lire parce qu'il faut retrouver en lui le mouvement d'instauration de la pensée. En cet essai, Rousseau se propose de construire non pas une " philosophie politique ", à l'instar de Hobbes qui se glorifiait d'en avoir inauguré la carrière, mais, sur la base normative du devoir-être, une " politique philosophique ". Son originalité est de proposer, loin de toute étude de " science politique " disséquant les rouages institutionnels de l'État, et indépendamment d'un programme politique à visée pragmatique, une théorie " pure " du droit politique dont le " contrat social " est le paradigme fondateur et le principe régulateur. Cette révolution épistémologique hardie réclamait une écriture exigeante et laborieuse. Les deux versions de l'ouvrage témoignent de l'effort fourni pour approfondir une pensée que sa lente interrogation oriente vers un normativisme critique. Emmanuel Kant - le meilleur lecteur de Rousseau - sut reconnaître dans le " contrat social " une idée rationnelle pure à vocation transcendantale.
« Je conçois dans l'espèce humaine deux sortes d'inégalité, l'une, que j'appelle naturelle ou physique, parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l'esprit, ou de l'âme, l'autre, qu'on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu'elle dépend d'une sorte de convention, et qu'elle est établie, ou du moins autorisée, par le consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres ; comme d'être plus riches, plus honorés, plus puissants qu'eux, ou même de s'en faire obéir. » Dans ce discours à portée réaliste, Rousseau nous livre ici ses idées : il n'est pas question comme le dénoncera Voltaire de retomber à quatre pattes, ni de retrouver un état de nature perdu à jamais, mais d'éclaircir l'enchaînement progressif qui vit un homme né libre être bientôt partout dans les fers.
Rousseau, en s'engageant à « tout dire » dans ses Confessions, s'exposait à n'être pas compris des lecteurs des années 1780, dont les plus indulgents accueillirent l'ouvrage dans un silence embarrassé. Pourtant, ce texte est sans doute aujourd'hui le plus lu de tous ceux que nous a laissés le esiècle.
Il est présenté ici dans l'édition classique de Jacques Voisine, la seule à prendre en compte les trois manuscrits connus, avec une bibliographie renouvelée et une préface de Jacques Berchtold et Yannick Séité.
Dernier volet inachevé de la trilogie des oeuvres autobiographiques de Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire se définissent par leur titre même. Lauteur sy nomme comme dromomane et comme solitaire. Il nest plus le Citoyen, mais un homme abandonné de tous ses anciens amis dont il sest volontairement éloigné. Ses dix « Promenades » oscillent entre la quête dun bonheur permanent impossible et son imagination farouche qui lui fait voir une toile daraignée tissée pour le prendre au piège. De fait, ses « rêveries » sont des méditations qui se succèdent presque sans ordre, au jour le jour, dans un « informe journal » qui sinscrit comme un chef-doeuvre décriture.
Extrait : C'est ici le second terme de la vie, et celui auquel proprement finit l'enfance car les mots infans et puer ne sont pas synonymes. Le premier est compris dans l'autre, et signifie qui ne peut parler d'où vient que dans Valère Maxime on trouve puerum infantem. Mais je continue à me servir de ce mot selon l'usage de notre langue, jusqu'à l'âge pour lequel elle a d'autres noms. Quand les enfants commencent à parler, ils pleurent moins.
Le jeune Saint-Preux a été engagé par le Baron d'Etanges pour être le précepteur (le professeur particulier) de sa fille Julie. Les deux jeunes gens tombent amoureux l'un de l'autre ; mais Saint-Preux n'est pas noble, c'est pourquoi le baron refuse qu'il épouse sa fille. Ce roman raconte l'histoire de ces deux jeunes gens, leurs efforts vains pour résister aux contraintes sociales, leur volonté de rester fidèles à leur amour sans transgresser les règles morales. Il s'agit d'un roman « épistolaire », c'est à dire qu'il est constitué des lettres que s'envoient les divers personnages. Le titre fait référence à une histoire médiévale : les amours malheureuses d'Eloïse et de son précepteur Abélard.
«Dans le double deuil d'une mère morte à sa naissance et de Genève, sa cité natale abandonnée à 24 ans, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a révélé à l'Europe, offusquée et éblouie, un style sans précédent où la rigueur de la réflexion théorique va de pair avec un engagement pathétique dans l'écriture et où la mise en cause de la culture passe par le déploiement de tous les prestiges du langage et de la musique. La Révolution et les romantismes se réclameront de cette oeuvre inquiète et exigeante.» Michel Delon.
A la recherche de "causes naturelles" nécessaires à la formation du langage, Rousseau refuse de mettre "à l'origine des signes institués" une société déjà établie comme le fait Condillac. C'est même le langage qui va établir le groupement social. La nature a mis peu de soin à rapprocher les hommes, à préparer leur sociabilité. Si l'inégalité parmi les hommes est nullement un fait nécessaire d'après la nature, celle-ci apporte elle-même son lot d'inégalités. Une inégalité naturelle qu'il faut savoir distinguer de la pure inégalité sociale, compliquée en inégalité juridique et politique.
Le tome II des Oeuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau contient l'essentiel de la partie proprement littéraire de ses écrits : La Nouvelle Héloïse, le théâtre et de nombreux essais en divers genres publiés d'après les éditions originales ou d'après les manuscrits, dont quelques-uns étaient inconnus jusqu'ici. Le texte de La Nouvelle Héloïse apparaîtra singulièrement rajeuni et vivifié par le commentaire continu qu'en fait le doyen Bernard Guyon, de la Faculté des Lettres d'Aix-Marseille ; après avoir étudié, dans son introduction, la genèse du roman, il analyse pas à pas les thèmes qui en forment le contrepoint. M. Jacques Scherer, professeur d'histoire du théâtre à la Sorbonne, situe pour la première fois à leur vraie place les multiples tentatives, dans l'ordre de la littérature dramatique, du contempteur des spectacles que fut Jean-Jacques Rousseau. Enfin, M. Charly Guyot, professeur à l'Université de Neuchâtel, présente les contes, apologues, ballets, pastorales, pièces de vers, etc. Des «Notices bibliographiques», du même type que celles du tome l, complètent cet ensemble de textes, qui n'avaient jamais été réunis jusqu'à présent en un seul volume.
"Ce qui rend l'homme essentiellement bon est d'avoir peu de besoins". Tour à tour romancier, autobiographe, dramaturge, épistolier, encyclopédiste, essayiste, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est le penseur majeur de la démocratie directe. A l'aube de la révolution industrielle, il se distingue de ses contemporains en dénonçant l'accumulation de biens inutiles, le luxe et le consumérisme, causes des inégalités et de la destruction du lien social.
Il défend à travers l'idée de vie simple, qui traverse toute son oeuvre, un modèle de société fondée sur la mesure et la proximité avec la nature. Comme le montre Cécile Hellian, loin de se limiter à une condamnation morale de la richesse, la vie simple est le préalable indispensable à l'autonomie et à la mise en place - aujourd'hui urgente - d'une société écologique et véritablement démocratique.
Toute sa vie, Rousseau a été hanté par le problème des rapports de l'homme avec la société. Pour connaître sa pensée politique et suivre son évolution, il faut remonter aux premières oeuvres de combat, le Discours sur les sciences et les arts, qui lui a valu une renommée subite, le Discours sur l'origine de l'inégalité, sorte de cri de détresse en faveur de l'homme avili par la civilisation, le Discours sur l'économie politique, qui pose le problème de la reconstruction de la société sur des bases nouvelles. Ces oeuvres théoriques, qui culminent avec le Contrat social, sont suivies par les plans et projets de constitution que des patriotes de divers pays : Genève, Corse, Pologne, ont demandés a l'écrivain. Le tome III des Oeuvres complètes de Rousseau contient l'ensemble des écrits politiques du «citoyen de Genève».
Les principes politiques définis dans Du contrat social ont souvent été dénoncés comme utopiques : les trois textes ici réunis prouvent pourtant que Rousseau n'a jamais cessé d'examiner les moyens nécessaires à leur mise en application. Dans le Discours sur l'économie politique, le Projet de constitution pour la Corse et les Considérations sur le gouvernement de Pologne, il étudie la science du gouvernement - «une science de combinaisons, d'applications et d'exceptions, selon les temps, les lieux et les circonstances» (lettre à Mirabeau du 26juillet 1767). Tandis que le Discours formule les maximes d'une sage administration, les projets de réforme de la Corse et de la Pologne mettent le modèle du Contrat social à l'épreuve de situations historiques précises. Loin du rêveur irréaliste qu'on a parfois dépeint, Rousseau apparaît ainsi comme un philosophe lucide qui, voulant fonder la politique, a cherché à appliquer à des États particuliers les exigences d'une légitimité.
Les écrits de Rousseau sur la musique étaient peu accessibles. Ils figurent intégralement dans ce volume, qui contient notamment le Dictionnaire de musique né des articles que commanda Diderot, pour l'Encyclopédie, à celui en qui l'on voyait alors, avant tout, un musicien. Rousseau, il est vrai, tablait sur cette facette de son talent pour se faire une place dans la société. Il comptait sans Rameau qui ne s'est pas privé de dire le mal qu'il pensait des Muses galantes. Terrassé, délesté de son honneur et de ses honoraires, Rousseau a fait de son contempteur l'incarnation d'une musique française lors de la querelle des Bouffons, il s'est employé à montrer que le système ramiste menait à un art de la non-communication. Or, «tout chant qui ne dit rien n'est rien». La musique est un langage, elle doit être l'art de l'expression vivante. Rousseau fonde sa pensée linguistique et musicale sur la nécessité de réconcilier la plénitude des origines et le savoir. Se profile alors le rêve d'un art régénéré : la poésie parle à l'esprit, la musique sollicite l'oreille, la peinture réjouit les yeux ; la réunion des trois renoue avec les premières fêtes, à l'époque de l'unité de la parole et de la mélodie. C'est à un chef-d'oeuvre de la civilisation, l'opéra, que Rousseau confie la mission de provoquer ce retour à l'origine, qui est aussi annulation du temps.
Les trois dialogues qui composent Rousseau juge de Jean-Jacques se situent à l'extrême de ce qui pouvait passer pour de la littérature au XVIIIe siècle, texte surprenant pour les défenseurs comme pour les adversaires de Rousseau. Dans une mise en scène pour le moins originale, et comme l'indique le titre, Jean-Jacques se fait juger par « Rousseau » en dialogue avec « le Français. » Vivant relativement isolé (et surveillé) à Paris après son exil, Rousseau les écrit entre 1772 et 1776 sous la forme d'un procès imaginaire intenté contre lui-même et dont il sortirait acquitté, sa réputation désormais sauvée aux yeux de la postérité. Si ses Confessions ont scandalisé (on n'en connaissait alors que la première moitié), ces dialogues apparaissaient comme le dernier cri d'un condamné, sinon comme une preuve certaine de sa folie. Rousseau résolut enfin de confier à Dieu lui-même ce texte extraordinaire en le déposant sur le maître-autel de Notre Dame de Paris
Rousseau ne voulait pas qu'un portrait de lui figure en tête de ses Oeuvres.
Son vrai portrait, le seul qui ne mentirait pas, c'est en lisant ses Confessions qu'on l'aurait sous les yeux : "Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi". Mais quelle identité assigner à ce moi qui déclare : "Je suis autre" ? Autre que tous les autres, et pourtant leur semblable. Perpétuellement autre que soi, et pourtant toujours même.
"Bizarre et singulier assemblage" d'identifications multiples où Narcisse et Caton, Alceste et Céladon, Mentor et le petit Jésus, Socrate et la cigale, Orphée et la fourmi, le rat des villes, celui des champs, le berger extravagant, l'agneau immaculé et le bouc émissaire tiennent tour à tour le devant de la scène, sans nuire pour autant à l'unité d'action, "tant tout se tient, tout est un dans mon caractère".
Au lecteur d'en juger.
Dans le Discours sur l'économie politique, Rousseau forme deux éléments essentiels de sa pensée politique: la notion de la volonté générale et la distinction entre souveraineté et gouvernement.
Pourtant, la place centrale qui revient à cette oeuvre ne lui a pas été reconnue. D'abord publiée (en 1755) comme article de l'Encyclopédie, elle a longtemps été considérée comme marquée par l'influence de Diderot. Son objet, l'économie, semblait étranger aux préoccupations essentielles de Rousseau. Cette nouvelle édition, appuyée sur le brouillon manuscrit, éclaire la genèse du texte. Le commentaire proposé cherche à dégager l'unité et la spécificité de l'oeuvre : il analyse le processus d'invention de la volonté générale et l'émergence des problèmes décisifs liés à cette notion ; il restitue son sens à l'économie politique dans la pensée de Rousseau ; il situe son intervention, centrale parce que singulière, dans les débats de son temps.
C'est sans doute ce qui fait aussi son intérêt présent : parce que l'administration des choses, à ses yeux, doit dépendre de celle des hommes, Rousseau lie les questions du patriotisme, de l'éducation publique à celles de la propriété ou de l'impôt. Il affirme clairement que l'économie doit être pensée sous la politique parce que l'égalité est la condition de la liberté.
On a jusqu'ici édité sous le titre apocryphe Projet de constitution pour la Corse trois manuscrits rédigés en 1765 par Rousseau, après que le capitaine Buttafoco l'eut invité à tracer le « plan du système politique » de la Corse. Ces manuscrits ne sont pas une oeuvre à proprement parler de Rousseau mais des pièces successives et inachevées d'un dossier dans lequel il conservait sa documentation sous l'intitulé Affaires de Corse. Il n'y propose pas de constitution et se défend de faire oeuvre de législateur, mais juge utile et urgent de conseiller la jeune nation en proposant un « plan de gouvernement ». Pour Rousseau, la révolution corse et l'heureuse situation de l'île rendent possible une autre voie politique qui s'appuie sur la puissance de la démocratie. Ce volume présente, associée à la correspondance avec Buttafoco, une édition critique des manuscrits dans lesquels Rousseau a travaillé à un « plan de gouvernement bon pour la Corse ». L'introduction, l'annotation et le commentaire de ces textes en renouvellent l'interprétation en restant constamment attentifs à leur genèse et au contexte historique de leur rédaction.
Sous la direction de C. Litwin, texte établi par J. Swenson.
La lettre de Rousseau à l'archevêque Christophe de Beaumont, archevêque de Paris et grand pourfendeur des jansénistes, est une réponse au " mandement " de ce dernier condamnant l'Emile. La lettre de Rousseau est un plaidoyer en faveur de la liberté religieuse, et à ce titre un moment clé dans l'histoire des Lumières.