Le 15 mars 1928, le Japon connaît une vague de répression sans précédent : 1 600 sympathisants, militants et syndicalistes communistes sont arrêtés sans motif avéré. Tue à l'époque par la majorité des organes de presse, cette opération est menée par la police « spéciale » - ou politique - aux ordres d'un gouvernement conservateur qui, sous couvert de défendre le « corps de la nation », préserve les intérêts des grands propriétaires du pays.
Kobayashi Takiji travaille alors à Otaru, l'un des principaux théâtres de ces rafles. Témoin des événements, il en livre dans ce roman - le premier écrit de sa main - un récit poignant, marqué du sceau de la jeunesse et de l'urgence, et qui sera frappé par la censure.
Dans ce récit-manifeste, précurseur du Bâteau-Usine, l'auteur multiplie les personnages et les points de vue. Il reconstitue ainsi la vision parcellaire de ce déferlement de violence propre à ceux qui, impuissants, n'ont pu que le subir. Dans un contexte où la question des violences policières fait retour partout dans le monde, ce classique de la littérature japonaise de l'entre-deux-guerres offre une perspective poignante sur ce que signifie faire l'expérience de la répression.
À mi-chemin du reportage et du roman, Le Propriétaire absent peint la vie des paysans à Hokkaido dans les années 1920. Partis défricher et coloniser l'île par milliers après son annexion définitive à la fin du xixe siècle, ces migrants découvrent les duretés de l'exploitation et de la lutte. Autour de Ken, protagoniste du livre, Takiji Kobayashi déploie en spirale une chronique ordinaire du capitalisme d'État. Ce « portrait d'une époque », pour reprendre les mots de l'auteur, se nourrit des qualités visuelles d'une écriture qui emprunte sa vigueur aux procédés cinématographiques :
Montage, gros plan, déroulé panoramique des paysages, mais aussi accélérations, ralentis et arrêts sur image. Dans cet ouvrage, l'auteur livre, par des voies détournées, quelque chose de sa propre expérience et dénonce les abus de la Hokkaidô Takushoku Bank, qui l'emploie alors et qui s'en sépare quand paraît ce roman à charge. Après la publication du Bateau usine, voici un autre ouvrage majeur de la littérature prolétarienne japonaise.