Ida Mett a fréquenté Nestor Makhno dans les années 1920 à Paris, où il s'était exilé.
Ce guérillero anarchiste avait organisé les paysans et ouvriers du sud de l'Ukraine contre les troupes tsaristes comme celles de l'Armée rouge. Sous une bannière aux allures de pavillon noir, ornée d'une tête de mort, ils multiplièrent les coups d'éclat, triomphèrent et rallièrent tous les insurgés de la région. Soviétiques comme anti-communistes tenteront de faire disparaître l'héritage de cet insoumis et, le décrivant comme un pillard et un antisémite, d'en forger la légende noire.
Ida Mett retrace son parcours et rétablit la vérité. Elle éclaire la personnalité complexe de celui pour qui la révolution ne pouvait être que la destruction de toute idéologie.
«Si la police peut paraître partout semblable jusque dans les détails, il ne faut pas finalement se méprendre : son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d'un souverain qui réunit en lui l'omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence.»
En 1960, Francis Gary Powers, pilote américain, est arrêté en mission en URSS en pleine Guerre froide. Günther Anders, inquiet des conséquences de cette arrestation et du risque de guerre nucléaire, écrit au pilote incarcéré. Sa «Lettre sur l'ignorance» reste sans réponse. Il en écrit alors une seconde : «Le rêve des machines», inédite en français comme en allemand.
Le Rêve des machines rassemble ces lettres qui éclairent l'évolution de la pensée d'Anders. En exposant à Powers comment il est devenu le rouage d'un système inhumain, il dénonce la toute-puissance de la technique et le monde des machines, produit d'un capitalisme qui annihile notre humanité. Anders déroule ainsi une pensée habitée par un souffle qui, à défaut d'être atomique, est d'une puissance philosophique sans équivalent.
Le Tchouang-tseu, l'ouvrage que l'on appelle ainsi parce qu'on en attribue la paternité à un certain Tchouang-tseu, contient les textes les plus étonnants que nous ayons de l'Antiquité chinoise. Le Court Traité, conservé dans son chapitre 2 et dont on ne connaît pas l'auteur, offre du sujet humain et de son rapport au langage, aux choses et à la réalité une vision qui mérite à plusieurs titres notre attention. Elle coïncide, dans son principe, avec celle du philosophe Héraclite. Un intérêt supplémentaire tient au fait que la vision du Court traité est restée incomprise en Chine comme celle d'Héraclite en Europe. Cela fournit un point de vue critique sur l'une et l'autre tradition et permet d'envisager leur dépassement par une véritable connaissance du sujet.
Dans un XIXe siècle encore à écrire, un jeune écrivain du nom de Victor Hugo s'insurge de la destruction de l'ancienne France et de ses monuments.
Texte de jeunesse qui témoigne de l'acuité précoce de son auteur, Guerre aux démolisseurs nous met face à un homme engagé dans les débats de son temps, et dont le diagnostic sévère laisse le lecteur toujours aussi dubitatif. Quelle place pour la protection du passé dans une époque obsédée par le progrès industriel ?
Victor Hugo met ici toute sa verve pour répondre à cette question et se fait le défenseur de ce qui constitue rien de moins que l'âme et l'histoire d'un pays : ses monuments. Le texte d'Hugo fascine en ce qu'il pose les jalons d'un débat ancien de presque deux siècles, qui reste aujourd'hui encore plus que jamais d'actualité.
Avec la spontanéité propre à l'oralité, Günther Anders livre dans cet entretien un condensé de sa pensée entrecoupé de quelques anecdotes savoureuses, notamment l'étonnement du philosophe quand il s'aperçut que lui, juif, pouvait faire le poirier plus longtemps que ses autres condisciples, grands et blonds. Mais ce livre est surtout le récit d'un parcours philosophique et politique, où l'on croise Brecht, Husserl, et qui révèle une personnalité comparable à celle de George Orwell par son courage intellectuel et sa lucidité.
Sa critique des totalitarismes et de la technique, du nucléaire notamment, se révèle encore aujourd'hui d'une saisissante actualité.
Dès sa parution en 1927, La Crise du monde moderne fut une véritable secousse.
Critique inclassable, ce texte précurseur dénonçait les dérives de la modernité et de l'idée de progrès. René Guénon rapproche ainsi notre époque moderne, son individualisme et sa confusion idéologique, de ce que la pensée hindoue désigne comme le Kali-Yuga : l' « âge sombre ».
L'auteur s'attaque par ailleurs au matérialisme et au rationalisme de notre société. C'est alors en Orient que résiderait la possibilité d'une initiation à un mode de connaissance que nous avons perdu et qu'il nous faut retrouver.
À l'heure de la mondialisation et d'une économie capitaliste aux conséquences toujours plus désastreuses, cette charge contre les illusions et l'hégémonie du monde occidental reste aussi pertinente que radicale.
Depuis l'époque de la philosophie grecque classique, Héraclite a été considéré comme un philosophe de la nature, mais on ne comprend sa pensée que lorsqu'on s'aperçoit qu'elle porte sur le sujet. Ce bref ouvrage démontre que les rares propos qu'on a de lui permettent de la reconstituer et qu'elle est d'un grand intérêt, ce d'autant plus que l'incompréhension dont elle a été l'objet est à l'origine d'une tradition intellectuelle qui a été dominante tout au long de l'histoire occidentale et l'est encore. Héraclite prouve qu'une véritable connaissance du sujet humain était possible de son temps et qu'elle l'est donc aujourd'hui. Héraclite, le sujet comporte une retraduction de tous les propos essentiels d'Héraclite.
Dénonçant un illusoire droit au travail qui n'est pour lui que droit à la misère, Lafargue soutient qu'une activité proprement humaine ne peut avoir lieu que dans l'oisiveté, hors du circuit infernal de la production et de la consommation, réalisant ainsi le projet de l'homme intégral de Marx.
Un classique toujours autant lu, plus que jamais d'actualité.
L'auteur du Bref Été de l'anarchie et de La Grande Migration retrace dans cet essai l'histoire des terroristes russes qui, de 1862 à 1917, inlassablement, ont sacrifié leur vie pour renverser le régime tsariste. C'est peu dire que ces personnages sont romanesques ou hors du commun : ils se sont volontairement situés, par l'absolu de leur révolte, hors de l'humanité, poussant à son extrême le mépris de soi, des autres et de la vie en général. Mépris qui culmine dans les figures de Netchaiev ou Asev, qui organisèrent des dizaines d'attentats terroristes et travaillaient en même temps pour la police secrète du tsar.
L'auteur du Bref Été de l'anarchie et de La Grande Migration retrace dans cet essai l'histoire des terroristes russes qui, de 1862 à 1917, inlassablement, ont sacrifié leur vie pour renverser le régime tsariste. C'est peu dire que ces personnages sont romanesques ou hors du commun : ils se sont volontairement situés, par l'absolu de leur révolte, hors de l'humanité, poussant à son extrême le mépris de soi, des autres et de la vie en général. Mépris qui culmine dans les figures de Netchaiev ou Asev, qui organisèrent des dizaines d'attentats terroristes et travaillaient en même temps pour la police secrète du tsar
L'art connaît une crise sans précédent : « Personne ne croit plus un mot de ce que dit le poète en notre siècle ».
Cette crise se situe au fondement même de notre civilisation, que la rationalisation technique a dénuée de tout fondement spirituel. Sa source est notre perte de contact avec la tradition d'un art dont la fonction était métaphysique. L'absence d'un principe supérieur, à même d'insuffler une direction et une puissance, a affaibli la poésie moderne.
Dans une langue saisissante et visionnaire, habitée par un souffle poétique et mystique, Le Centre perdu nous propose de refonder l'art par le langage. Pour que la poésie soit à nouveau, pour nous, synonyme de vérité. « Il nous faudra de nouveau vivre vraiment pour que nous puissions de nouveau parler vraiment. » Mots clés : classiques, Renaissance, rationalisme, art, civilisation, société, Grèce, Occident, tradition, Rimbaud, Artaud, poète, novlangue, parole
Ce réquisitoire balaie d'un revers de main la démocratie telle qu'elle a cours. Et, ose-t-on ajouter, telle qu'elle a encore cours. Son argumentation repose sur des réflexions philosophiques qui traitent de l'organisation idéale de la collectivité en démocratie, notamment le Contrat social de Rousseau. La raison seule est garante de la justice, et non les passions, nécessairement marquées par l'individualité. Or, les partis, puisqu'ils divisent, sont animés par les passions en même temps qu'ils en fabriquent. Ils défendent leurs intérêts propres au détriment du bien public. Pour Simone Weil, il faut se garder comme de la lèpre de ce mal qui ronge les milieux politiques mais aussi la pensée tout entière. Contre les passions collectives, elle brandit l'arme de la raison individuelle.
De tous temps, l'économie a fait partie des sociétés humaines. Sa place est naturelle. Nous n'avons pas de prise sur son développement. D'ailleurs, le marché satisfait tous nos besoins... Vraiment ?
Karl Polanyi bat en brèche cette « légende ». Depuis le XIXe siècle, l'omniprésence du marché et, par conséquence, de l'industrie et de la technique, n'a cessé de croître. « L'Ère de la machine » a vu cet ensemble s'étendre à toutes les sphères de nos existences. Elle nous impose ses valeurs et son fonctionnement.
Polanyi plaide pour une refondation de notre rapport à l'économie afin d'en retrouver le contrôle. Il affirme la nécessité de nouveaux principes directeurs. C'est à cette seule condition que nous pourrons nous extraire d'un engrenage qui ne peut mener qu'au totalitarisme.
Curiatus Maternus décide de se retirer pour se consacrer à la poésie. Avec trois amis, un dialogue s'engage... Tacite évoque des problèmes fondateurs de l'art des mots :
Distance entre Anciens et Modernes ; déclin des belles lettres ; tension entre une poésie retirée de la société et l'efficacité politique de l'art oratoire...
Texte-choral, théâtral et plein d'humour, ce Dialogue nous fait bondir de querelles en débats. Libre au lecteur de se faire sa propre opinion quant aux questions posées :
Qu'attend-on de la parole publique ? L'absence d'adversité l'appauvrit-elle ? Comment apprendre, non à réciter, mais à penser ? Document historique, la société qu'il décrit nous est terriblement familière. On se laisse donc emporter pour élucider une énigme toujours intacte : à quoi servent les mots ?
Le 22 avril 1945, Yvonne Oddon est libérée du camp de Mauthausen. Le 28 juin 1945, elle témoigne au Muséum national d'Histoire naturel. Ce récit, écrit à chaud, saisit par sa rigueur factuelle. Yvonne Oddon décrit sans fard les conditions de vie inhumaines des prisons de la Wehrmacht et des camps de Ravensbrück et Mauthausen.
Par-delà la souffrance, c'est aussi la vie quotidienne des prisonnières qu'elle tâche de retranscrire, tout particulièrement celle des femmes. En dépit des atrocités, la dignité des prisonnières demeure, des solidarités se nouent, graines de résistance semées au comble de l'horreur. Le désespoir est finalement absent de ce récit car la bibliothécaire est habitée par une autre préoccupation : l'urgence de témoigner.
«Les superstitieux, qui ont appris à tonner contre les vices bien plus qu'à enseigner les vertus, et qui s'étudient à conduire les hommes, non point par la raison, mais à les contenir par la crainte, de telle sorte qu'ils fuient le mal plutôt que d'aimer la vertu, les superstitieux ne visent qu'à une chose, à rendre les autres aussi misérables qu'eux-mêmes. Aussi n'est-il pas étonnant qu'ils soient presque toujours insupportables et odieux aux hommes.» Dieu en tant que nature et origine de l'âme, des passions et de la servitude humaine, force des passions, de la puissance de l'entendement, ou de la liberté de l'homme?: voici les grands thèmes dont traite l'oeuvre philosophique de Spinoza, dont l'Éthique, imprimée en 1677, est la clef de voûte.
Dans ce texte fondateur de la philosophie moderne, Spinoza entend montrer ce que la raison peut sur les passions et énonce une certaine théorie de la volonté. Ce qu'il appelle servitude, c'est l'impuissance humaine à modérer et réprimer ses passions. Une volonté, quelle qu'elle soit, est une idée par laquelle l'âme affirme ou nie quelque chose, fait ou ne fait pas quelque action. Ce traité pratique de sagesse nous enseigne que le philosophe l'emportera toujours sur l'ignorant, car il possède la connaissance de l'âme. Le lecteur pourra le découvrir dans la traduction de Jules Prat. Jusqu'ici publiée seulement partiellement, cette version que l'on doit aux recherches de Bernard Pautrat est ici proposée dans son intégralité.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le «réfugié» préfère en général l'appellation de «nouvel arrivant» ou d'«immigré», pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié.
Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
«Nous devons prendre une décision. Elle doit avoir deux effets?: nous mettre en mesure de combattre les maux actuels et prochains, non plus dans le désordre et la confusion, mais de façon cohérente, et introduire le moment positif de ce que nous voulons. Car nous ne serons cohérents que si notre action découle d'une décision, et cette décision ne sera opérante que si nous luttons en premier lieu, non plus contre tout ce que nous ne voulons pas, mais pour ce que nous voulons. En quoi cette décision positive consistera-t-elle?? Elle sera un acte, non de la volonté, mais de l'intellection. Elle sera la reconnaissance de notre besoin et désir le plus fondamental, qui est de devenir sujets.» L'auteur a mis à profit le confinement pour revenir à des questions de fond. «Nous n'avons plus de repères, écrit-il, ou nous en avons trop, ce qui revient au même. Comment trouver quelque part un point sûr, ne serait-ce que pour moi?? Le trouverai-je dans l'histoire?? Non, car plus le temps passe, plus il y a d'histoire. Il y en a trop désormais. Ce point sûr ne peut résulter que de l'observation de ce que nous sommes, non dans ce qui nous différencie les uns des autres, mais dans ce que nous avons en commun?: le fait d'être chacun un sujet qui dit je».
Il faut pour cela une observation d'un genre nouveau, à laquelle les philosophes n'ont pas songé jusqu'ici. Menée avec rigueur, elle conduit à une idée juste du sujet dont nous avons le plus grand besoin aujourd'hui. C'est de cette idée nouvelle que traite principalement ce bref essai, dense mais écrit dans un langage simple.
Dans cet essai concis, brillant, et extrêmement polémique, Noam Chomsky, un des critiques les plus virulents du nouvel ordre mondial, montre comment, sous couvert de divers paravents (organisation mondiale du commerce, otan, etc.) le capitalisme, en particulier américain, est en train d'imposer au monde une véritable tyrannie, qui non seulement empiète sur la souveraineté des Etats, mais sur celle des individus eux-mêmes.
Nietzsche a 26 ans lorsqu'il rédige La Vision dionysiaque du monde, un texte resté inédit de son vivant. Il s'agit, sous une forme ramassée mais déjà extrêmement aboutie littérairement, du premier exposé de l'un des thèmes fondamentaux de sa pensée :
L'opposition entre le monde apollinien et le monde dionysiaque, entre la mesure, l'apparence, la forme et l'ivresse, l'extase, l'oubli de soi ou, pour le dire encore autrement, entre le voile du rêve et la puissance destructrice de la vérité. De l'affrontement de ces deux mondes naît la tragédie grecque. Ces pages qui annoncent et résument à la fois l'ouvrage futur La Naissance de la tragédie, constituent une des plus belles introductions de Nietzsche à sa conception du monde comme musique.
''Outre que l'amitié apporte tant et plus de bienfaits, elle les devance tous, rien qu'en baignant l'avenir d'espoir et en prévenant la déchéance ou l'épuisement des nos âmes. Qui contemple son ami contemple donc, pour ainsi dire, son propre reflet. Et grâce à l'amitié, les absents se font présents, les pauvres deviennent riches, les faibles forts et, plus difficile à admettre, les morts reviennent à la vie, tant leurs amis vivent nimbés de leur honneur, de leur souvenir et de leur regret.» Comment reconnaître un ami?? Dans ce dialogue fictif entre Laelius et ses deux gendres Fannius et Scaevola, Cicéron dévoile sa conception de l'amitié. Laelius y célèbre les qualités de son meilleur ami défunt?: Scipion Émilien, brillant intellectuel et éminent homme public.
Nul doute pour Cicéron que la pratique de l'amitié va nécessairement de pair avec celle de la vertu. Pour le grand philosophe, l'amitié ne saurait conduire quiconque au déshonneur. Une amitié authentique ne peut donc exister conjointement à de mauvais agissements. Méfions-nous également des amitiés matérielles, avertit Cicéron. Car l'argent n'est pas moins précaire et instable à l'époque de la Rome antique qu'à celle du cac 40. Or l'amitié requiert au contraire fermeté et solidité, vertus stoïciennes par excellence. L'ami est à l'écoute mais peut lever la voix, y compris pour asséner les vérités les moins agréables?; il cultive la probité et méprise les faux-semblants.
En se fondant sur des exemples tirés de l'histoire romaine, il met en valeur ce qu'il considère comme l'âge d'or de la République, lorsque celle-ci était menée par un groupe d'hommes lié par l'amitié telle qu'il la définit. Car De l'amitié est également un texte de combat, celui que Cicéron mène contre Marc Antoine, et l'amitié un programme politique en soi, afin que la société redevienne vertueuse.
«Jusqu'à des droits très proches de nous, jusqu'à des économies pas très éloignées de la nôtre, ce sont toujours des étrangers avec lesquels on 'traite', même quand on est allié. Les gens de Kiriwina dans les Trobriand dirent à M. Malinowski?: 'Les hommes de Dobu ne sont pas bons comme nous?; ils sont cruels, ils sont cannibales?; quand nous arrivons à Dobu, nous les craignons. Ils pourraient nous tuer. Mais voilà, je crache de la racine de gingembre, et leur esprit change. Ils déposent leurs lances et nous reçoivent bien.' Rien ne traduit mieux cette instabilité entre la fête et la guerre.» «Nous n'avons pas qu'une morale de marchand», énonce Marcel Mauss dans ce texte majeur de l'anthropologie du xxe siècle. Il y expose le résultat de plusieurs décennies de recherches sur différentes sociétés archaïques. Non seulement il est possible d'envisager l'échange en dehors du marché, mais des économies complexes reposent sur le don et le contre-don. Le nom du système au coeur de son analyse est resté dans les annales?: le potlatch.
Notamment pratiqué dans certaines tribus amérindiennes, ce rite somptuaire fondé sur la destruction de ce que l'on possède amène au sommet de l'échelle sociale seuls les individus capables de se séparer de tous leurs biens. En s'intéressant à ce système allant à l'encontre du rationalisme économique tel que nous le subissons, ce texte exerça une profonde influence sur l'ensemble des sciences humaines, jusqu'à Guy Debord et ses comparses de l'Internationale lettriste qui baptisèrent leur propre revue Potlatch.
Le potlatch et la kula revêtent avant tout une dimension spirituelle?: la chose donnée n'est pas inerte, elle engage l'honneur de celui qui la donne, autant que de celui qui la reçoit. Cette dimension sacrée de l'échange nous fait aujourd'hui cruellement défaut. C'est peut-être dans notre rapport au don que se trouve la clé de la crise morale que l'humanité affronte aujourd'hui.
Publié sans nom d'auteur et avec une fausse adresse d'éditeur par crainte de poursuites politiques et religieuses, Le Traité théologico-politique ( Tractatus theologicopoliticus ) ou Traité des autorités théologique et politique est l'un des deux seuls ouvrages que Spinoza publia de son vivant (1670). Face à l'État et aux théologiens, Spinoza entend ici démontrer que la liberté de philosopher est utile mais avant tout nécessaire tant à la piété qu'à la sécurité de l'État. À partir de la raison se pose la limite du pouvoir de la loi, qu'elle soit politique, civique ou religieuse. Établir la liberté de philosopher : tel est son objectif.